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Attitude face à la mort – 5 -, à suivre…

(Interview sur Radio Canada)

Selon le bouddhisme, la mort n’est pas semblable à une goutte d’eau qui s’absorbe dans la terre sèche ou à une flamme qui s’éteint. Sa nature se déduit de celle de la conscience. C’est un problème complexe. Beaucoup de religions théistes envisagent une création, ce qui revient à dire que rien, à un moment donné, devient quelque chose. Selon la philosophie bouddhiste, l’idée d’une création ex-nihilo, d’un rien qui devient quelque chose est difficile à accepter. Un raisonnement logique montre qu’il est impossible de transformer le néant en quelque chose, surtout si cela se fait par l’entremise d’une entité qui elle-même est sans cause, ou qui contient toutes les causes. Le bouddhisme adhère à l’idée d’un univers sans début. Certains philosophes occidentaux partagent ce point de vue, tel Bertrand Russel qui a dit qu’un univers sans début ne comporte aucune faute de logique, mais pose simplement un problème d’imagination. Nous sommes naturellement tentés de nous dire : « Bon, quinze milliards d’années, ça va, mais il faut bien que ça commence quelque part. » Nous avons du mal à comprendre qu’il puisse ne pas y avoir de début. Et pourtant c’est la seule explication qui ne soulève pas de difficultés logiques. Somme toute, cela revient à dire en d’autres termes que « rien ne se perd, rien ne se crée ». La matière ne peut pas venir du néant et retourner au néant, il faut qu’il y ait quelque chose, un vide quantique, ou quelle chose d’autre, il faut qu’il y ait un potentiel. A cela s’ajoute selon le bouddhisme la notion particulière d’une conscience qui possède une qualité fondamentale différente de l’inanimé. La matière est un phénomène premier, c’est-à-dire que l’on peut remonter jusqu’aux particules, aux quarks ou aux supercordes, mais une fois que l’on en arrive là, se pose la question de Leibniz : ‟Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?” À moins d’introduire l’idée d’un Créateur, ce que le bouddhisme ne fait pas, force est de constater que le monde des phénomènes est simplement présent.

Le bouddhisme fait le même raisonnement en ce qui concerne la conscience : il estime que nous pouvons étudier la conscience de l’extérieur, nous pouvons décrire l’évolution de la complexité des organismes, qui a entraîné une complexification du système nerveux et ainsi l’émergence de ce que nous appelons la conscience. Mais la définition de la conscience pose un problème à bien des philosophes et neuroscientifiques. En effet, sans une perspective à la première personne — et même si nous pouvons décrire avec la plus grande exactitude l’ensemble des paramètres intervenant dans les processus qui ont lieu dans le cerveau lorsque nous voyons la couleur rouge ou ressentons de l’amour —, nous ne sommes pas plus avancés en ce qui concerne l’expérience subjective de l’amour ou de la perception de la couleur rouge. Nous pouvons certes affiner l’analyse jusque dans les plus infimes détails pour expliquer la conscience en sondant avec une extraordinaire précision ce qui se passe dans les neurones, mais il faudra sans doute attendre une cinquantaine d’années avant de savoir précisément de quoi il retourne. Pour être honnête, il faut rester dans le domaine de l’introspection et de l’expérience directe parce que, sans ‟expérience”, ‟conscience” ne veut rien dire. Si nous affinons à l’extrême notre expérience directe du phénomène de conscience, nous n’arriverons pas aux neurones ni au cerveau, parce que nous ne sentons pas notre cerveau. Il est impossible de parvenir par l’instrospection subjective à une perception des phénomènes neuronaux de la même façon que l’on peut voir les particules atomique au niveau de la matière au travers un microscope électronique.

A quoi arrivons-nous? A la conscience pure, qui, tout comme la matière, est un phénomène premier. L’aspect le plus fondamental de la conscience est la faculté cognitive de base qui sous-tend et permet toutes les pensées, les émotions, les souvenirs, l’anticipation de l’avenir, etc.

Chaque instant présent est déterminé par l’instant qui l’a immédiatement précédé. Or deux instants consécutifs, dont l’un est la cause de l’autre, ne peuvent pas être d’une nature totalement différente. Nous ne pouvons imaginer un instant de conscience immédiatement précédé et causé par un instant totalement inconscient, semblable à l’instant inanimé qui correspond à un état particulier de la matière. Le bouddhisme suppose qu’il doit y avoir une continuité de nature entre ces instants infiniment petits qui se succèdent. De même que selon cette philosophie, l’univers est sans début, le continuum de conscience, lui aussi, est sans début ni fin. Il s’agit là de la conclusion d’un raisonnement. Il reste à voir à quoi cela correspond sur le plan pratique. Toutefois, pour le Bouddhisme, la notion de continuum de conscience ne relève pas du dogme, mais correspond à une expérience vécue et à un raisonnement logique qui peut être contesté, voir réfuté. Il a d’ailleurs été longuement débattu au sein même du bouddhisme.

Ainsi s’est élaborée l’idée d’un continuum constitué d’états de conscience qui précèdent l’existence présente et les existences qui suivront. L’association du corps et de ce continuum de conscience n’en serait qu’un épisode. La vaste majorité des chercheurs en neurosciences estiment qu’il est peu plausible que la conscience, quelle que soit sa nature, ne se réduise pas totalement au fonctionnement du cerveau. Toutefois, c’est pour l’instant l’hypothèse qu’ils retiennent, bien que rien ne la confirme. On ne peut pas dire qu’il y ait des preuves solides ni dans un sens ni dans l’autre. Ainsi que le disait Francisco Varela, un grand spécialiste des neurosciences : « Gardons une attitude ouverte à l’égard de tout cela. »