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Attitude face à la mort – 4 -, à suivre….

(Interview sur Radio Canada)

Pour un ermite, pour un vrai pratiquant, la mort est véritablement un passage qu’il aborde avec sérénité. On dit même que ce moment est une occasion unique : il y a là une possibilité de comprendre enfin la nature ultime des choses et d’atteindre à un éveil spirituel très profond. De ce fait, pour le méditant, c’est une étape critique, tout en demeurant un point intense de pratique spirituelle. Le pire pour un méditant est de mourir inconscient, dans les limbes, parce qu’il serait alors incapable de poursuivre sa pratique spirituelle. Le fait de pouvoir être lucide est un grand bonheur, et d’ailleurs, quand nous lisons la biographie des grands sages du passé, il est très frappant de voir que nombre d’entre eux, juste avant de mourir, s’assoient en posture de méditation, lèvent les yeux vers l’espace et meurent en méditant.

La mort est un moment critique où tout est amplifié : aussi bien les avantages d’avoir une pratique très claire à ce moment-là que le risque de vouloir se raccrocher à ce que nous devons quitter, d’être complètement bouleversé ou encore de céder à la panique. Mourir en s’agrippant à que nous laissons à nos proches, est dramatique.

Il est navrant également de mourir dans le ressentiment, le regret ou l’angoisse. Une mort sereine est évidemment la meilleure qui soit. Le souhait de l’humble bouddhiste qui meurt est, quel que soit le point d’avancement spirituel auquel il est parvenu, de pouvoir poursuivre sa progression. Il espère pouvoir renaître en tant qu’être humain auprès d’un maître spirituel, il aspire ardemment à continuer son chemin vers l’éveil. Même si ce chemin est très long, il souhaite ardemment avoir la possibilité de le poursuivre.

Bien sûr, les gens pleurent parfois. Cependant une telle attitude est déconseillée parce que le chagrin trouble le moment du passage de la personne qui s’en va et augmente son attachement à ceux qu’elle laisse derrière elle. Si elle voit que tout le monde est bouleversé, elle va s’attacher plus fortement à ceux qu’elle quitte et aura du mal à partir en paix.

L’idéal, c’est de l’aider par un conseil spirituel. En l’absence d’un maître, des textes sont lus au mourant que lui permettent de centrer sur sa pratique spirituelle toutes les facultés dont elle dispose. Il faut alors instaurer un climat calme, faire le moins de bruit possible, s’abstenir de pleurer haut et fort. Il convient ainsi d’éviter les drames et de favoriser la mort dans la sérénité. Si la personne souffre, il est crucial de l’entourer le plus possible d’affection, de tendresse, d’amour, de présence — tout ce dont nous avons grandement besoin dans notre société.

Les soins palliatifs se sont maintenant de plus en plus développés dans les milieux hospitaliers. Dans le cadre d’une intervention de soins palliatifs, la présence rassurante et aimante de quelques personnes lors d’un événement qui va inévitablement se produire est d’un grand secours, et je crois qu’il est essentiel de procurer pareille assistance à tous ceux qui meurent. Dans notre clinique du Népal — notre association Karuna-Shechen nous a permis de fonder plusieurs cliniques —, nous avons un centre de soins palliatifs qui accueille les personnes démunies afin qu’elles partent d’une façon décente, entourées d’affection, alors que naguère elles mouraient souvent seules dans la rue.

Que nous croyions ou non en une continuité de la conscience, nous ne pouvons que souhaiter que chacun meure en paix. Je revois les derniers jours de mon père, Jean-François Revel. J’étais en retraite au Népal lorsque son état de santé s’est aggravé. Je suis sorti de ma retraite et j’ai pu venir au moment où il est entré à l’hôpital pour l’assister dans ses derniers moments. J’ai passé une quinzaine de jours auprès de lui, jour et nuit lors des derniers jours. Et mon seul but était vraiment de l’entourer du maximum d’affection, d’être toujours présent, puisque même les meilleures infirmières ne peuvent pas être constamment au chevet de chaque patient. Or, il fallait, toutes les deux minutes relever son lit, le rabaisser, être constamment attentif à ses souhaits. Et quand il est mort, j’étais certes triste, mais sans le moindre regret. Cela s’est bien passé, il a connu une mort pas trop difficile et relativement sereine. Je crois que mourir dans de telles conditions est infiniment préférable à une agonie vécue dans l’angoisse. Bien sûr, il y a des gens qui éprouvent des souffrances physiques très intenses dans ces moments-là, mais, de nos jours, nous avons les moyens d’y remédier sans que la personne traitée devienne inconsciente. Nous pouvons l’aider à mourir dans la sérénité. C’est tellement mieux ainsi!  Après coup, je me sentais en paix et me suis dit : « Voilà! Il a eu une belle mort! »