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S’engager face à la crise climatique: de l’indifférence à l’altruisme authentique

Ce texte est extrait du dernier ouvrage de Matthieu Ricard intitulé Carnets d’un moine errant, à découvrir ici.

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A propos de l’écriture de Plaidoyer pour l’Altruisme:

Au départ, je n’avais qu’une intention modeste : celle de montrer que l’altruisme authentique existe et qu’il est possible de le cultiver. Mais à mesure que j’avançais, comme si le champ que je labourais s’agrandissait à mesure que je progressais de sillon en sillon, je m’aperçus que la plupart des aspects importants de notre existence sont régis par la dualité de l’égoïsme et de l’altruisme. Je n’avais aucune intention d’écrire un long chapitre sur le problème de l’environnement, par exemple, mais il devint évident que, là encore, il s’agissait bien de notions d’égoïsme et d’altruisme à l’égard des générations futures. Si nous sommes indifférents à leur sort, la question de l’environnement ne se pose pas, car nous ne serons plus là pour être témoins de leurs souffrances et de la sixième extinction majeure des espèces depuis l’apparition de la vie sur terre.

Comme disait mon marxiste favori, Groucho Marx : « Pourquoi me préoccuperais-je du sort des générations futures ? Qu’est-ce qu’elles ont fait pour moi ? » Le problème est que nombre des acteurs de la société tiennent un discours in fine semblable, mais avec aplomb et sérieux. J’entendis ainsi le milliardaire américain Steven Forbes déclarer sur Fox News à propos de la montée du niveau des mers : « Modifier nos comportements parce que quelque chose va se produire dans cent ans est, je dirais, profondément bizarre1. » Autrement dit, après moi le déluge…

Le sort des générations futures, incluant celui des 8 millions d’espèces qui sont nos concitoyennes en ce monde, est le défi ultime pour l’altruisme. Il s’agit en effet de prendre en considération le sort de personnes que nous ne connaîtrons pas et de modifier nos comportements en raison des souffrances qu’elles vont endurer dans cinquante ou cent ans en raison de notre manière de vivre. Mais ces souffrances seront réelles et nous en serons responsables. Si nous n’agissons pas, nul doute qu’elles diront : « Vous saviez, et vous n’avez rien fait. »

En écrivant Plaidoyer pour l’altruisme, j’éprouvais un profond enthousiasme à me plonger dans ces recherches et, bien souvent, à découvrir des corrélations insoupçonnées entre divers aspects de l’altruisme, et à rencontrer les esprits éminents dont les travaux fournirent les fondements de l’ouvrage. Je fus parfois découragé face à l’ampleur de la tâche. Je n’en voyais pas la fin. Parfois, lorsque je terminais mon travail de recherche sur un chapitre, je m’apercevais qu’il comportait plus de cent pages ! Il fallait alors dégrossir cette somme d’informations comme un sculpteur qui taille un bloc de pierre pour faire apparaître les contours d’une statue et affiner ses détails.

Cette formidable tâche m’évoqua avec amusement celle, dans un tout autre domaine, de Bernard Palissy qui consacra vingt ans de sa vie à percer le secret de l’émail dont il voulait couvrir ses poteries, et alla jusqu’à brûler ses meubles et son plancher pour alimenter son four à céramique. Brûler les lames du plancher de mon ermitage ne m’aurait pas avancé à grand-chose, mais je comprenais sa détermination inflexible à poursuivre son œuvre jusqu’au bout. Parfois, une formule ou une idée me venait à l’esprit en marchant dans la montagne ou au réveil à l’aube, et je la griffonnais rapidement sur un bout de papier avant qu’elle ne s’évanouisse.

(…) À mes yeux, ce considérable travail de recherche servira au moins de base pour explorer plus avant certains aspects de l’altruisme et de l’égoïsme. J’eus le sentiment d’avoir contribué à montrer que l’altruisme n’était pas un luxe ni une utopie, mais une nécessité, la seule réponse pragmatique, réaliste aux défis de notre temps.


Bouton150Les effets de la crise climatique sont d’ores et déjà présents, généralisés et souvent irréversibles. Pour découvrir des pistes de réflexion et d’action sur le sujet, rendez-vous le 7 avril à 20h pour écouter un échange exclusif entre Matthieu Ricard et Catherine Le Bris-Hervé, spécialiste du droit de l’environnement. Pour participer, cliquez ici.


1 Stephen Forbes, déclaration lors d’un débat sur FOX News, le 18 octobre 2009