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Le double accomplissement du bien d’autrui et de notre propre bien

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On entend fréquemment évoquer les avantages personnels (sur le plan de la santé et du bien-être physique et mental) du fait de faire le bien aux autres. Cette approche est de plus en plus souvent mise en avant dans les médias et certains en concluent donc que tout cela n’est en vérité qu’une manière détournée de promouvoir nos intérêts personnels.

Dans l’Émile ou de l’éducation, Jean-Jacques Rousseau distingue l’amour de soi (le désir d’avoir une vie satisfaisante et le contentement que nous éprouvons quand nos aspirations sont accomplies, désir qui est tout à fait compatible avec la bienveillance envers autrui), et l’amour-propre qui nous dicte de placer systématiquement nos intérêts avant ceux d’autrui.

Le fait d’éprouver de la joie à faire le bien d’autrui, ou d’en retirer de surcroît des bienfaits pour soi-même, ne rends pas, en soi, un acte égoïste. L’altruisme authentique n’exige pas que l’on souffre en aidant les autres et ne perd pas son authenticité s’il s’accompagne d’un sentiment de profonde satisfaction. De plus, la notion même de sacrifice est très relative : ce qui apparaît comme un sacrifice à certains est ressenti comme un accomplissement par d’autres.

Certaines personnes déclarent volontiers : « J’ai beaucoup aidé les autres et en ai retiré une immense satisfaction. C’est eux que je dois remercier. » Les Anglo-saxons parlent de warm glow, la douce chaleur intérieure qui accompagne l’accomplissement d’actes de bonté. Certains en ont déduit que cela rendait égoïste un acte en apparence altruiste. Mais, il ne faut donc pas confondre la cause première et les effets secondaires. Le fait d’éprouver de la satisfaction en accomplissant un acte altruiste ne rend pas cet acte égoïste, car la recherche de cette satisfaction n’en constitue pas la motivation principale. À vrai dire, si vous faites un calcul égoïste du type : « Je vais être altruiste avec cette personne, parce que je me sentirai bien après », la joie ne sera pas au rendez-vous. La satisfaction naît de l’altruisme véritable, non de l’égoïsme calculateur. Herbert Spencer, philosophe et sociologue anglais du XIXe siècle, l’avait déjà remarqué : « Les bienfaits personnels que l’on retire de l’accomplissement du bien d’autrui […] ne sont pleinement profitables que si nos actions sont réellement dépourvues d’égoïsme. » (1)

Qui plus est, la recherche du bonheur égoïste semble vouée à l’échec pour plusieurs raisons. Tout d’abord, du point de vue de l’expérience personnelle, l’égoïsme, né du sentiment exacerbé de l’importance de soi, s’avère être une perpétuelle source de tourments. L’égocentrisme multiplie nos espoirs et nos craintes et nourrit les ruminations de ce qui nous affecte. Dans la bulle de l’ego, la moindre contrariété prend des proportions démesurées.

La deuxième raison tient au fait que l’égoïsme est fondamentalement en contradiction avec la réalité. Il repose sur un postulat erroné selon lequel les individus sont des entités isolées, indépendantes les unes des autres. L’égoïste se dit en substance : « À chacun de construire son propre bonheur. Je n’ai rien contre votre bonheur, mais ce n’est pas mon affaire. » Le problème est que nous ne sommes pas des entités autonomes et notre bonheur ne peut se construire qu’avec le concours des autres. Même si nous avons l’impression d’être le centre du monde, ce monde reste celui des autres.

Si l’égocentrisme est une constante source de tourments, il en va tout autrement de l’amour altruiste, qui s’accompagne d’un profond sentiment de plénitude. C’est aussi l’état d’esprit qui déclenche l’activation la plus importante des aires cérébrales associées aux émotions positives. On pourrait dire que l’amour altruiste est la plus positive de toutes les émotions positives. De plus, l’altruisme est en adéquation avec la réalité, à savoir le fait que nous sommes foncièrement interdépendants. En comprenant à quel point notre existence physique, notre survie, notre confort, notre santé, etc. dépendent des autres, il devient facile de nous mettre à leur place, de respecter leurs aspirations et de nous sentir concernés par l’accomplissement de leurs aspirations.

L’amour, l’affection et le souci de l’autre sont, à long terme, essentiels à notre survie. Le nouveau-né ne survivrait pas plus de quelques heures sans la tendresse de sa mère ; un vieillard invalide mourrait rapidement sans les soins de ceux qui l’entourent.

Note

Spencer, H. (1892). The principles of ethics (Vol. 1). D. Appleton and Co, p. 241, 279.