Ne nous lassons pas de le répéter, songer avant tout aux foules déshéritées et douloureuses, les soulager, les aérer, les éclairer, les aimer, leur élargir magnifiquement l’horizon, leur prodiguer sous toutes les formes l’éducation, leur offrir l’exemple du labeur, jamais l’exemple de l’oisiveté, amoindrir le poids du fardeau individuel en accroissant la notion du but universel, limiter la pauvreté sans limiter la richesse, créer de vastes champs d’activité publique et populaire, avoir comme Briarée cent mains à tendre de toutes parts aux accablés et aux faibles… C’est là, que les âmes sympathiques ne l’oublient pas, la première des obligations fraternelles, c’est là, que les cœurs égoïstes le sachent, la première des nécessités politiques. […]
Le passé, il est vrai, est très fort à l’heure où nous sommes. Il reprend. Ce rajeunissement d’un cadavre est surprenant. Le voici qui marche et qui vient. Il semble vainqueur ; ce mort est un conquérant. Il arrive avec sa légion, les superstitions, avec son épée, le despotisme, avec son drapeau, l’ignorance ; depuis quelque temps il a gagné dix batailles. Il avance, il menace, il rit, il est à nos portes. Quant à nous, ne désespérons pas. […] Il n’y a pas plus de reculs d’idées que de reculs de fleuves. […] Il n’y a qu’une manière de refuser Demain, c’est de mourir.
Les Misérables, tome IV, chapitre 4 : Les deux devoirs, veiller et espérer.
1862, Édition libre Bibebook – https://www.bibebook.com