(Interview sur Radio Canada)
Question: Comment la méditation peut-elle préparer à la mort?
Matthieu: C’est précisément en développant notre force d’âme et notre liberté intérieure nous verrons la mort non comme une annihilation, mais comme un passage que nous serons capables d’effectuer avec lucidité et sérénité. Cela reste certainement une épreuve en raison de ce dont on fait l’expérience lorsque les éléments du corps commencent à se dissoudre et le souffle, peu à peu, s’interrompt. Dans de telles circonstances, il faut une grande présence d’esprit et suffisamment de sérénité pour maintenir une pratique spirituelle. La méditation permet d’acquérir cette force qui résulte de toute une vie d’entraînement. Ce n’est pas la veille de mourir qu’il faut se dire : « Bon, maintenant je vais m’occuper de ma vie spirituelle. » Il est un peu tard, au moment de la mort, pour commencer à s’interroger sur la meilleure façon de l’aborder! Si nous écartons la mort du champ de notre conscience, nous nous condamnons à nous retrouver dans un état de choc voir de panique au moment d’aborder la mort, ce qui ne nous permettra pas de franchir ce passage de façon optimale.
Évidemment, nous ne savons pas ce que nous allons devenir ensuite. C’est un passage vers l’inconnu, vers un autre état qui, pour le bouddhisme, s’inscrit dans une continuité qui est déterminée par la résultante des causes précédemment accumulées? Mon devenir sera l’expression de ce que j’ai instillée dans ce flot de conscience. Si mon esprit est rempli de haine, de jalousie, d’obsession, tous ces facteurs réunis pour la conscience fasse l’expérience d’un monde d’intenses souffrances, mais la situation sera très différente si j’ai fait provision d’amour altruiste, de paix intérieure, d’une meilleure connaissance et d’une meilleure compréhension de la réalité. On compare ce processus à une rivière, à un fleuve : si vous déversez maintenant, depuis un pont à Québec ou à Montréal, de la fluorescéine ou des plantes médicinales dans le Saint-Laurent, tout ce qui coule en aval sera teinté; si vous versez du poison, le fleuve sera empoisonné jusqu’à ce qu’un autre facteur intervienne, jusqu’à ce que vous construisiez par exemple un centre de purification de l’eau. Ce qui advient en aval dépend de ce qui est advenu en amont.
Quand on aborde la question du karma, les gens pensent tout de suite : « Ah! C’est mon karma, c’est le destin, je ne peux rien y faire » Mais ce n’est pas un destin imposé par une entité extérieure à vous. Le karma n’est qu’un aspect particulier de la loi de causalité qui concerne le bonheur et la souffrance. S’interroger sur le karma revient à se demander quelles sont les répercussions, selon la loi de cause à effet, de vos états mentaux, de vos attitudes, de vos motivations, liées à la haine ou à l’amour altruiste — sur vos expériences de vie?
Karma signifie action. Ce n’est qu’un aspect des lois universelles de la causalité. Lorsque ces lois s’appliquent aux mécanismes mentaux et aux effets que ces mécanismes ont sur le bonheur et la souffrance, on parle de karma. Ce n’est donc pas quelque chose qui nous est imposé, à la manière d’un destin inéluctable. Si, une fois que vous avez semé des graines, vous n’intervenez plus, elles vont pousser d’une certaine façon. Laissé à lui-même, ce mécanisme est inéluctable. Toutefois, vous pouvez aussi intervenir et éliminer les graines qui vont donner des plantes toxiques par exemple. Ou, s’il s’agit de mauvaises herbes, vous pouvez les arracher avant qu’elles n’envahissent votre champs. C’est la part du libre arbitre. Les lois de cause à effet sont inéluctables, mais vous pouvez faire intervenir de nouvelles causes et conditions afin de modifier le cours des choses.
Nous sommes le résultat du passé et l’architecte de notre avenir. A présent, nous nous trouvons à la croisée des chemins.