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Anecdotes tirées de la biographie du grand maître tibétain Gyalsé Ngultchou Thogmé (1295-1369) – V

Alors que la fin de sa vie approchait, Gyalsé Thogmé manifesta des signes de maladie.

Comme on lui demandait s’il y avait moyen de prolonger sa vie, il répondit :

— Si ma maladie est bénéfique aux êtres, puisse la maladie m’échoir comme une bénédiction ! Si ma mort est bénéfique aux êtres, puisse la mort m’échoir comme une bénédiction ! Si ma santé est bénéfique aux êtres, puisse la santé m’échoir comme une bénédiction ! Telle est ma prière aux Trois Joyaux. Je suis heureux, car j’ai la profonde conviction que tout ce qui advient est la bénédiction des Trois Joyaux. Ainsi, j’emporterai sur la voie tout ce qui arrive sans essayer d’y rien changer.

De proches disciples supplièrent Gyalsé Thogmé de réfléchir à un traitement ou à toute autre chose qu’ils pourraient accomplir pour l’aider, mais il répondit :

— J’ai atteint la limite de mes années, et ma maladie est grave. Les soins des docteurs les plus habiles et des médicaments pareils à l’ambroisie n’auraient pas d’effet.

Il ajouta :

Si ce corps illusoire que je crois mien est malade,

eh bien, qu’il soit malade !

Cette maladie me permet d’épuiser

Le mauvais karma de mes actes passés,

Et les activités spirituelles que je pourrai alors accomplir

M’aideront à purifier les deux voiles21.

Bien portant, je suis heureux,

Car, avec un corps et un esprit sains,

Je peux approfondir ma pratique spirituelle

Et donner tout son sens à cette existence humaine

En tournant mon corps, ma parole

et mon esprit vers le bien.

Pauvre, et par là sans bien à protéger,

Je suis heureux,

Tant il est vrai que les querelles et l’animosité

Jaillissent des graines de la cupidité et de l’attachement.

Riche, je suis heureux,

Car mes biens me permettent d’accomplir

encore plus d’actes positifs,

Ces actes positifs d’où résultent

Les bonheurs temporaire et ultime.

Si je meurs bientôt, c’est parfait,

Car, soutenu par mes quelques mérites,

J’ai bon espoir d’entrer dans la voie sans erreur

Avant qu’un obstacle ne se présente.

Si ma vie est longue, je suis heureux :

Inséparable de la chaude et bienfaisante pluie

des instructions spirituelles,

Je peux faire longtemps mûrir en moi

La moisson des expériences intérieures.

Aussi, quoi qu’il arrive, je suis heureux.

Et il poursuivit :

— Telles sont les instructions essentielles que j’enseigne, et je dois moi-même les pratiquer. Ainsi qu’il est dit : « Dépourvue d’existence réelle, ce qu’on nomme maladie apparaît dans le déploiement des phénomènes illusoires comme la conséquence inéluctable de nos actes négatifs. La maladie est un maître qui révèle la nature du cercle des existences et nous montre que les phénomènes, aussi manifestes soient-ils, n’ont guère plus de réalité qu’une illusion. La maladie nous offre un support pour cultiver la patience — relativement à notre propre souffrance — et la compassion — à l’endroit de la souffrance d’autrui. C’est en de pareilles circonstances que notre pratique spirituelle est mise à l’épreuve. » Si je meurs, je serai soulagé des douleurs du mal qui me ronge. Je ne me connais pas de tâche inachevée, mais surtout je mesure combien il est rare que la mort vienne en parfaite conclusion à la pratique spirituelle. Voilà pourquoi je n’espère aucun remède. Mais vous aurez le temps de terminer vos cérémonies avant mon décès.

Un matin, à l’aube, Gyalsé Thogmé demanda à ses disciples de l’aider à se redresser

— Je me sens très bien ainsi, dit-il, ne me faites plus du tout bouger !

Il resta assis dans la posture du lotus jusqu’au lendemain soir, l’esprit parfaitement focalisé dans l’équanimité. C’est dans cet état qu’il quitta cette vie et atteignit la félicité.

Extrait de Au coeur de la compassion, de Dilgo Khyentse Rinpotché, Editions Padmakara