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Notre bonheur passe par celui des autres

Un bonheur pour soi tout seul ? Serait-il possible en négligeant celui des autres ou pire en essayant de le construire sur leur malheur ? Un « bonheur » élaboré dans le royaume de l’égoïsme ne peut être que factice, éphémère et fragile comme un château bâti sur un lac gelé, prêt à sombrer dès les premiers dégels. Parmi les méthodes maladroites, aveugles ou même outrancières que l’on met en œuvre pour construire le bonheur, l’une des plus stériles est donc l’égocentrisme. « Quand le bonheur égoïste est le seul but de la vie, la vie est bientôt sans but », écrivait Romain Rolland. Même si l’on affiche toutes les apparences du bonheur, on ne peut être véritablement heureux en se désintéressant du bonheur d’autrui.

Shantideva, philosophe bouddhiste indien du VIIe siècle, s’interroge : « Puisque nous avons tous un égal besoin d’être heureux, par quel privilège serais-je l’objet unique de mes efforts vers le bonheur ? » Je suis un et les autres sont innombrables. Pourtant, à mes yeux, je compte plus que tous les autres. Telle est l’étrange arithmétique de l’ignorance. Comment être heureux si tous ceux qui m’entourent souffrent ? Et s’ils sont heureux, mes propres tourments ne me semblent-ils pas plus légers ? Shantideva conclut :

« Le corps, malgré la diversité des membres, est protégé comme un être unique : il doit en être ainsi de ce monde où les êtres divers, qu’ils soient dans la douleur ou la joie, ont en commun avec moi le désir de bonheur. » Cela ne signifie nullement qu’il nous faille négliger notre propre bonheur. Notre aspiration au bonheur est aussi légitime que celle de n’importe quel être. Et pour aimer les autres il faut savoir s’aimer soi-même. Cela ne revient pas à être infatué de la couleur de ses yeux, de sa silhouette ou de certains traits de sa personnalité, mais à reconnaître à sa juste valeur l’aspiration à vivre chaque moment de l’existence comme un moment de plénitude. Il est essentiel de comprendre qu’en faisant le bonheur des autres on fait le sien : lorsqu’on sème un champ de blé, le but est de récolter du grain, et on obtient en même temps, sans effort particulier, la paille et le son.

En résumé, le but de l’existence est bien cette plénitude de tous les instants accompagnée d’un amour pour chaque être, et non cet amour individualiste que la société actuelle nous inculque en permanence. Le vrai bonheur procède d’une bonté essentielle qui souhaite du fond du cœur que chacun trouve un sens à son existence. C’est un amour toujours disponible, sans ostentation ni calcul. La simplicité immuable d’un cœur bon.