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Le Vagabond de l’Éveil – 6 – Patrul reçoit ses propres enseignements

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Patrul avait décidé de se rendre à Kathog afin d’accumuler des mérites en faisant la circumambulation des stoupas de Kathog Koumboum (Les Cent Mille Statues de Kathog). Ressemblant à n’importe quel lama nomade, Patrul circumambulait ces stoupas toute la journée, sans que personne ne lui prêtât aucune attention.

Quelques personnes remarquèrent ce lama dépenaillé qui s’arrêtait devant chaque stoupa, en apposant sa tête contre la petite cavité centrale tout en murmurant quelques mots. Hormis ce fait, rien de particulier ne le distinguait des autres pèlerins.

Lorsqu’il arriva dans la région, il logea chez un vieux lama de Gyarong. Celui-ci lui demanda d’où il venait et Patrul répondit qu’il était originaire de Dzachoukha. Il expliqua qu’il faisait un pèlerinage à Koumboum afin de recevoir les bénédictions liées à ce lieu sacré.

« As-tu déjà reçu des enseignements du Dharma ? » demanda le lama de Gyarong.
« Pas beaucoup. J’ai reçu « La Marche vers l’Éveil et quelques autres textes ; c’est à peu près tout », répondit Patrul.

« Tu sembles avoir des dispositions vertueuses. Comme tu viens de très loin, tu dois être un assez bon pratiquant. Ca t’intéresserait si je t’enseignais quelques rudiments du Dharma ? »

« A-ho ! Bien sûr que ça m’intéresserait ! Qui peut se passer du Dharma ? » répondit Patrul.

« Il y a un enseignement appelé Le Chemin de la Grande Perfection (Künzang Lamai Shéloung), du grand Dza Patrul Rinpoché. Ce texte très connu explique les Pratiques Préliminaires. Il peut vraiment t’aider énormément. Parce que si tu fais des prières en faisant le tour des stoupas sans avoir l’attitude et la compréhension justes, tous ces efforts ne t’apporteront guère de grands bienfaits », reprit le vieux lama.
« A-dzi ! J’ai vraiment besoin de ces enseignements ! Je vous en prie, soyez assez bon pour me les dispenser ! » s’exclama Patrul.

C’est ainsi que, jour après jour, chapitre après chapitre, le vieux lama de Gyarong enseigna à Patrul Le Chemin de la Grande Perfection. De temps à autre, le lama nomade, apparemment naïf et illettré, posait des questions très pertinentes sur le sens du texte. Le lama de Gyarong restait perplexe devant cette personne d’apparence si modeste mais qui faisait néanmoins des commentaires si pénétrants.

Lorsqu’il en arriva à la moitié du texte, Patrul quitta la maison du lama de Gyarong pour aller s’installer tout à côté, chez une vieille femme. Chaque matin, Patrul sortait pour faire la circumambulation des stoupas. Tous les jours, l’après-midi, il se rendait chez le lama de Gyarong pour recevoir les enseignements. Et tous les soirs, à la tombée de la nuit, il revenait chez la vieille femme.

Tout en préparant le thé du soir, cette femme âgée qui avait entendu parler de Patrul Rinpoché et nourrissait une profonde dévotion à son égard, priait avec ferveur et suppliait ainsi le maître spirituel : « Patrul Rinpoché, pensez à moi ! Je m’en remets à vous ! »

Un soir, Patrul dit à son hôtesse : « Grand-mère, il y a tant d’êtres sublimes dans tout le Tibet ! Rien qu’ici, à Kathog, de grands maîtres accomplis sont apparus dans le passé. À l’heure actuelle, de grands lamas vivent ici. Pourquoi continuez-vous à implorer ce Patrul ? Est-ce qu’il y a vraiment de quoi le vénérer ? »

« Oh oui ! À notre époque, personne n’égale sa sainteté. Beaucoup d’habitants de la région de Kathog suivent ses enseignements des Pratiques Préliminaires. Moi-même, je les ai écoutés », répondit la vieille femme.
Débordante de foi, elle joignit les mains en un geste de respect.

Toutefois, sa réponse ne suffit pas à mettre un terme aux remarques malicieuses de Patrul.

« Si vous me demandez mon avis, poursuivit-il d’un ton provocateur, je pense que votre Patrul jouit d’une réputation surfaite ! Il s’agit sûrement de l’un de ces vieux lamas nomades ; il n’a certainement rien d’exceptionnel ni d’unique. »

« Quel esprit mal tourné ! Comment pouvez-vous avoir des pensées aussi tordues au point de dire qu’il est l’un de ces vieux lamas nomades ! Vous n’avez tout simplement pas le bon karma pour le voir comme le Bouddha en personne ! » le réprimanda la pieuse vieille femme.
Patrul n’en dit pas plus.

Peu de temps après, des pèlerins de Dzachoukha arrivèrent à Kathog pour effectuer la circumambulation des stoupas et virent un lama d’apparence misérable qui, lui aussi, en faisait le tour. Ses compatriotes le reconnurent immédiatement. « Apou ! Apou est là ! » s’exclamèrent-ils avec joie, tout en commençant à se prosterner devant lui avec révérence.
Patrul était fort mécontent de la situation.

Il réprimanda les pèlerins de Dzachoukha : « Jusqu’à maintenant, j’ai pu vivre tranquillement ici, à accumuler des mérites. Mais maintenant, et sans que l’on ne vous ait rien demandé, vous êtes allés claironner à tout le monde : Patrul est ici ! Patrul est ici ! Et ça va mettre un terme à ma tranquillité ! »

Tout se passa comme il l’avait prédit : en un rien de temps, la rumeur se répandit dans tout le Kathog que le grand Patrul Rinpoché était arrivé, même si personne ne pouvait dire exactement où il se trouvait.

Quand Patrul arriva chez le vieux lama pour écouter les enseignements, comme tous les après-midi, il lui dit avec excitation : « Eh bien, tout le monde dit que Patrul Rinpoché en personne est ici ! »
Patrul ne montra aucun enthousiasme particulier à l’annonce de la nouvelle.

Ce jour-là, au crépuscule, comme d’habitude, Patrul rentra chez la vieille femme qui, elle aussi, lui dit avec exaltation : « Patrul Rinpoché est ici! Vous vous rendez compte ? »

« Ce n’est pas la peine de vous mettre dans tous vos états ! Qu’est-ce qu’il a de si particulier ce Patrul Rinpoché ? Il n’est qu’un lama nomade comme il y en a tant. Vous feriez mieux d’implorer les grands lamas de Kathog », se moqua Patrul.

La vieille femme se mit à nouveau en colère ; elle était presque sur le point de lui donner une bonne correction. Elle le houspilla sévèrement: « Misérable individu ! Comment osez-vous dire des choses pareilles ! Même si Patrul Rinpoché, le Bouddha en personne, venait à votre porte, vous n’éprouveriez aucune dévotion ! Vous le renverriez en le traitant de « vieux lama nomade ! Maudit bonhomme ! »
Patrul se tut.

Peu de temps après cet épisode, on réussit à trouver Patrul. Les deux grands lamas de Kathog, Drimé Shinkyong et Kathog Sitou, l’invitèrent officiellement à enseigner La Marche vers l’Éveil au monastère de Kathog.

La pieuse vieille femme, apprenant la nouvelle, débordait de joie à l’idée de pouvoir enfin rencontrer le saint homme auquel elle adressait depuis si longtemps ses prières et ses supplications.

Le lendemain matin, le gong résonna, appelant les habitants à venir aux enseignements.
Patrul quitta la maison de la vieille femme, comme chaque matin au même moment, comme pour aller faire ses circumambulations quotidiennes.

La vieille femme, elle, se hâta vers le monastère. Là, assis sur le trône, elle vit avec stupéfaction le lama déguenillé auquel elle avait offert l’hospitalité pendant des semaines.

En proie à une profonde honte, elle se prosterna aux pieds de Patrul en pleurant : « Quel mauvais karma j’ai accumulé ! Je vous ai réprimandé et j’ai même été sur le point de vous battre. Je vais sûrement renaître en enfer. Je vous en supplie, acceptez ma confession. Je ferai tout ce que vous me direz pour purifier mes actions. »

« Il n’y a rien de mal », la rassura Patrul avec douceur, « Il est inutile de confesser quoi que ce soit. Ne vous inquiétez pas. Vous avez un esprit pur. Avoir bon cœur est la racine de tous les Dharma. En fait, c’est l’essence même de « La Marche vers l’Éveil » que je vais enseigner maintenant. C’est tout ce dont on a besoin. »

Au moment où Patrul commença à délivrer son enseignement, le vieux lama de Gyarong, lui aussi, se rendit compte que son fidèle élève, le lama qui ne payait pas de mine auquel il avait expliqué Le Chemin de la Grande Perfection, jour après jour et chapitre après chapitre, n’était autre que son auteur, Patrul Rinpoché lui-même.

Le pauvre lama se sentit si confus que, sans mot dire, il partit la nuit même pour sa région natale de Gyalmo Rong, avant que Patrul, ou quiconque, n’ait eu le temps de le retenir.

Le Vagabond de l’Éveil. La vie et les enseignements de Patrul Rinpoché, Éditions Padmakara.