Des climatologues chinois ont présenté les glaciers de l’Himalaya et les autres principales montagnes du plateau tibétain comme le troisième des pôles de notre planète malade. Le problème est que ce pôle fond trois à quatre fois plus vite que les pôles Nord et Sud. On dénombre 40 000 glaciers de diverses tailles sur le plateau tibétain. Tous fondent rapidement. Au réchauffement général qui affecte l’ensemble de la planète s’ajoute le phénomène de la pollution qui, se déposant sur la neige, fonce la couleur des glaciers, si bien qu’ils absorbent davantage la lumière, ce qui accélère le processus de fonte.
Au Bhoutan, des investigations récentes ont établi qu’à Lunana une barrière naturelle constituée par des moraines séparant deux lacs glaciaires avait aujourd’hui une épaisseur de 31 m contre 74 m en 2003. Si le mur cède avant que le lac ne soit artificiellement asséché, ce sont quelques 53 millions de mètres cube d’eau qui vont déferler dans la vallée de Punakha et Wangdi, occasionnant d’immenses pertes en vies humaines et d’énormes dégâts. Et pourtant le Bhoutan n’a qu’un seul glaciologue, Kharma Loeb, qui travaille avec des fonds et des moyens technologiques limités.
Au total ce sont maintenant 400 lacs glaciaires qui au Népal et au Bhoutan menacent de briser leur digue naturelle et d’inonder les régions peuplées des vallées en contrebas. Une fois ces inondations passées, et après que la surface des glaciers aura encore diminué, surviendra la sécheresse, puisque les torrents et les rivières cesseront d’être alimentées par la neige fondue.
47% environ de la population mondiale, en Chine, en Inde et dans d’autres pays dépend pour son agriculture, son approvisionnement en eau et donc pour sa survie du bassin hydrographique (Indus, Brahmapoutre, Yangtsé, le Fleuve Jaune, Salouen, Mékong) délimité par le plateau tibétain. Les conséquences de l’assèchement de ces grandes rivières seront désastreuses.
Durant les 6 derniers mois le Népal n’a connu aucune chute de pluie significative. Tout au long de l’hiver, la majestueuse chaîne de l’Himalaya est restée désespérément grise, seules les plus hautes cimes (au-dessus de 6000 m ) conservent une couche neigeuse.
D’autres transformations profondes se produisent sur le plateau tibétain. Le pergélisol (*) dont la présence détermine la contenance en eau et la valeur nutritive du sol et de la flore, est également en train de fondre. Les terres humides jouant le rôle d’éponges qui absorbent l’eau durant l’été et la libèrent en hiver, régulant ainsi le débit des cours d’eau, se réduit. Ces perturbations sont aggravées par la déforestation intensive du plateau tibétain et des versants de l’Himalaya, qui a conduit à la disparition —excepté au Bhoutan- de 40% des forêts durant les 50 dernières années, et par voie de conséquence à des inondations, des glissements de terrain et une désertification de ces régions.
Le sort de la population locale a encore été aggravé par la sédentarisation des nomades tibétains imposée par l’administration chinoise. Dans la province de l’Amdo par exemple (Qinhai), plus de 100000 familles de nomades ont été forcées de se fixer en un lieu.
Mais la connaissance des faits, si largement répandue qu’elle soit, si capitale qu’elle soit pour notre avenir devient inutile si nous lui restons indifférents. Elle paraît trop dérisoire, trop tardive, la douloureuse réponse apportée à la tragédie qui menace. Lorsque la situation sera irréversible, même nos larmes pourraient couler à sec.
(*) Le pergélisol : plus connu sous son nom anglais de permafrost désigne un sous-sol gelé en permanence, au moins deux ans de suite