Tous les bouddhistes ne sont pas végétariens, et les textes ne condamnent pas unanimement la consommation de viande. Certains soutras du Grand Véhicule, le Mahayana, sont cependant sans équivoque, comme le Soutra de l’entrée à Lanka, qui déclare :
« Pour ne pas devenir source de terreur, les bodhisattvas établis dans la bienveillance ne doivent pas manger de nourriture carnée. […] La viande est une nourriture pour bêtes féroces ; il est impropre de la manger. [1] […] On tue des animaux pour le profit, on échange des biens contre de la viande. L’un tue, l’autre achète, tous deux sont fautifs. »
De même, dans le Soutra du Grand Parinirvana, le Bouddha dit : « Manger de la viande détruit la grande compassion » et conseille à ses disciples de s’éloigner de la consommation de viande « tout comme ils s’écarteraient de la chair de leurs propres enfants ». [2] De nombreux maîtres tibétains ont également condamné la consommation de chair animale.
L’empereur Ashoka, qui épousa le bouddhisme et le végétarisme par la même occasion, promulgua plusieurs décrets, cent cinquante ans après la mort du Bouddha, pour que les animaux soient traités avec bienveillance. Il fit notamment graver sur le pilier de Sircar des préceptes enjoignant à ses sujets de traiter les animaux avec bonté et proscrivit sur tout son territoire les sacrifices animaliers.
Les bouddhistes chinois et vietnamiens sont strictement végétariens. Les Tibétains vivent sur des hauts plateaux couverts d’immenses prairies qui ne sont favorables qu’à l’élevage de troupeaux de yaks, de chèvres et de moutons. Renoncer à manger de la viande dans de telles conditions impliquait, jusqu’à récemment, de ne se sustenter que de beurre, de yaourt (durant l’été), et de « tsampa », la farine d’orge grillée traditionnelle. [3] Ces conditions ont amené les populations, nomades en grande partie, à vivre de leurs troupeaux, et la plupart des Tibétains sont friands de viande.
Toutefois, ils sont bien conscients de l’aspect immoral de leur comportement et s’efforcent d’y remédier en ne tuant que le nombre d’animaux strictement nécessaires à leur survie, et en terre d’exil, en Inde ou au Népal, de plus en plus de monastères tibétains n’autorisent pas la viande dans les repas préparés dans leurs cuisines.
Pour le bouddhiste en général, être végétarien est un moyen de manifester sa compassion à l’égard des animaux. À la différence des hindous végétariens, la viande n’est pas pour lui « impure » en elle-même. Il ne trouverait rien à redire, en principe, au fait de manger un animal mort de façon naturelle.
De surcroît, de nombreux pratiquants bouddhistes achètent régulièrement des animaux destinés à être tués pour les libérer dans leur milieu naturel ou dans des lieux de refuge où ils sont bien traités. On lit, par exemple, dans l’autobiographie de l’ermite tibétain Shabkar (18ème – 19ème siècle), qu’au cours de son existence, il sauva la vie de centaines de milliers d’animaux.
Au Tibet, les animaux dont on « rachète » ainsi la vie finissent tranquillement leurs jours avec le reste du troupeau. Ces pratiques sont encore courantes parmi les fidèles bouddhistes. Au Bhoutan, où le bouddhisme prédomine, la chasse et la pêche sont interdites dans l’ensemble du pays.
Extrait de Plaidoyer pour les animaux, de Matthieu Ricard, aux éditions Allary (2016).
Notes.
[1] & [2] : Extraits de Shabkar, Les larmes du bodhisattva : Enseignements bouddhistes sur la consommation de chair animale, Éditions Padmakara, 2005, p. 68.
[3] : Parmi les maîtres spirituels connus pour être devenus végétariens, figurent beaucoup de maîtres Kadampas, à commencer par Atisha, suivis de maîtres de toutes les écoles du bouddhisme tibétain, comme Milarépa, Drigoung Kyobpa, Takloung Thangpa, Phagmo Droupa, Thogmé Sanpgo, Droukpa Kunleg, etc., jusqu’à des époques plus récentes avec Jigmé Lingpa, Nyagla Péma Dudul, Patrul Rinpotché, et à notre époque, Kangyur Rinpotché, ainsi que ses fils Pema Wangyal Rinpotché et Jigmé Khyentsé Rinpotché, ainsi que Chatral Rinpotché qui, à ce jour, est âgé de 102 ans.