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Un géographie du sourire ?

On a parlé d’une « géographie du sourire ». En examinant 2000 photographies trouvées sur des pages de présentation de réseaux sociaux en Europe, on a constaté que 55% des Anglais souriaient, contre seulement 25% des Polonais ; les Hongroises se trouvaient en-deçà des 25 %. Toutefois, ces chiffres ne signifient pas nécessairement que les habitants de l’Europe de l’Est soient moins ouverts à leurs semblables. Selon P. Svarota, l’auteur de cette étude, le goût de la sincérité, selon lequel il est inapproprié de travestir ses sentiments par des faux-semblants, est très présent dans la société polonaise.

Par ailleurs, l’idée qu’il faut sourire en toute occasion, que cela corresponde ou non à un sentiment sincère, conduit très vite à adopter le sourire « Pan-Am », ainsi nommé d’après les publicités de la défunte compagnie aérienne, sur lesquelles figuraient des mannequins, hommes ou femmes, arborant un sourire figé, exprimé uniquement par les lèvres et non par l’ensemble du visage.

Lors d’une émission de télévision à laquelle je participais avec mon père, J.F. Revel, au cours d’une pause, je lui fis remarquer qu’il avait l’air un peu morose. « Que veux-tu, me répondit-il, je ne peux pas avoir une sourire accroché en permanence à mon visage comme ce monsieur à côté de moi. » Il est certain que les sourires automatiques et autres manifestations d’une euphorie artificielle (les « croisés de l’incandescence » comme les appelle Pascal Bruckner) ne naissent pas du cœur.

L’idée qu’il faut sourire à tout prix est aussi très occidentale. En Occident, on sourit automatiquement devant un appareil photo : il faut donner l’impression d’être heureux ; en Asie (Tibétains, Indiens, Népalais, Cinghalais, etc.), on arbore automatiquement un air très sérieux. Les Tibétains, par exemple, sourient et rient très souvent, plus peut-être que tout autre peuple que j’ai eu l’occasion de fréquenter. Mais si l’on prend un Tibétain en photo, bien souvent, il va instantanément se figer dans une posture extrêmement sérieuse, propre à être fixée pour la postérité.

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Il n’est toutefois pas très difficile de dégeler cette gravité et de la transformer en un grand sourire à l’aide de quelques subterfuges, auxquels les Tibétains se prêtent très volontiers. Il m’est arrivé de faire un premier portrait sérieux, puis je baissais l’appareil et la personne m’offrait alors un grand sourire. Dès que je reprenais l’appareil en mains pour saisir ce sourire, le sujet redevenait sérieux en une fraction de seconde, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’affaire tourne au jeu et que je puisse finalement saisir le beau sourire de la personne amusée.

Extrait du récent album de photographies 108 Sourires

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